Aux oubliés des Dieux , aux rêves arrachés,
Aux enfants bâillonnés , à leurs cris étouffés,
Aux dix milles nuées de leur juste colère;
A l'amour humilié , à la vie , à la terre,
A la chair torturée , à l'esprit révulsé,
A la parole tue , à la voix censurée,
Aux gestes entravés , aux rêveurs et aux fous
Et à l'espoir enfin , qui reste , malgré tout:
Petits frères de la Zone , englués dans l'asphalte
Et le béton noirci des crépis de banlieue,
Comme ces oiseaux blancs volant sans une halte,
S'abattant sur ces plages où se vautrent les Dieux,
Vos ailes sont de plomb , mazoutées de misère
Et vos yeux éperdus , assoiffés de lumière,
Se tournent vers l'azur effacés de vos rêves,
Buvant à Babylone , en attendant qu'elle crève!
Petites sœurs des friches , aux ventres de Madones,
Vous portez des Jésus crucifiés dans vos chairs,
Qui tètent la révolte à vos seins d'Amazones
Et de leurs mains tendues , comme un bonheur offert,
Recueillent l'avenir et le jettent à la face
De ceux qui le fabriquent , puis , comme un pic à glace,
Dans le cœur surgelé des trafiquants d'espoir,
Le plantent et s'y accrochent , comme à un drapeau noir.
Vous portez sur le dos le poids d'un siècle mort,
Revomi par l'histoire , qui vous a jeté là,
Plantés sur un trottoir , avec ,pour tout décor,
Quelques arbres et un banc , où vous mènent vos pas;
Et la Province , inquiète , vous lorgne de travers,
Derrière ses rideaux tirés à quatre épingles,
Des citoyens , figés dans leurs petit enfer,
Ont les mains qui s'agitent et des regards qui cinglent.
Dans des maisons cossues habitées par l'ennui,
Des praticiens honnêtes vous signent des deux mains
Des prescriptions exactes , par leur Ordre établies,
Puis vous renvoient dehors , où attendent vos chiens;
Le pharmacien , serein , vous délivre la dose:
Lui , il n'y est pour rien , ou bien si peu de chose,
S'il y a d'autres dealers qui , pour quelques barrettes,
Vont croupir en prison , avec les proxénètes.
Vos Enfants de l'amour , ou parfois du hasard,
En sautant dans les flaques , éclaboussent de vie
Les rues tièdes des villes , où des passants blafards
Vont vite , en se pressant pour fuir cette chienlit;
Ils son déjà rebelles et , pour mieux les tenir,
Des notables instruits, de doctes pédophiles,
En appellent à la Dass , en parlant d'Avenir,
Puis s'en vont partouzer et s'endormir , tranquilles.
Petits frères de la Zone , petites sœurs des friches
Vos enfants de lumière éclairent votre nuit,
Dévoilant la Beauté , partout où elle niche,
Et la Laideur aussi; dans ce monde en sursis
Où règne le mépris , ils sont la fleur éclose
Qui ne Doit plus faner! Laissez là vos névroses,
Vos seringues et vos rixes , prenez votre colère,
Faites lui prendre l'air , partagez-la, en frères...
Il y a des choses à faire...
Et des choses à Dé-faire...