Il existe des évènements
Qui marquent un jeune enfant
Il existe des histoires
A jamais enfouies dans notre mémoire
C’était il y a quarante ans
J’étais encore enfant
Il est assis sur une chaise en bois
Il est assis en face de moi
Sur la table recouverte d’une toile cirée
Une bouteille, un verre vide à côté
Il quémande, il supplie
Elle se saisit du verre, le remplit
Il sent monter la fièvre
Il soulève le verre, le porte aux lèvres
Son bras tremble, sa main hésite
Il le repose très vite
Des gouttes ruissellent le long de son menton
Il s’essuie du revers de son veston
A quoi pense-t-il à cet instant ?
Je ne comprends pas, je n’ai que dix ans
Je suis là, je le regarde
Sais-t-il seulement qu’il est malade ?
Il veut qu’on le resserve
Elle refuse, elle s’énerve
Il râle, laisse éclater sa colère
Elle cède, lui sert un autre verre
Allez, le petit dernier
Ensuite, il va s’arrêter
Allez, le der des ders
Encore un dernier verre
Pour aujourd’hui ça suffit
Il veut retrouver son lit
Il se lève, il ne va pas très bien
Elle l’aide et le soutient
Une semaine s’est écoulée
Il reste dans la chambre, couché
De temps à autres, il se réveille
Exige une bouteille
J’écoute la radio « Onaro, le vin des costauds »
Lui pourtant ne pèse plus que quarante kilos
Cette fois, il a passé une mauvaise nuit
Harcelé par des chauve-souris
J’entends des mots sans aucun sens
J’entends parler de délirium tremens
Et puis un jour, c’est fini
Je n’ai que dix ans, je n’ai rien compris
Il existe des évènements
Qui marquent à jamais un enfant
Arrive le moment où en parler
Se fait nécessité
Y aurait-il des maladies dont on pourrait se vanter
Et d’autres qu’il faudrait dissimuler
Des maladies que l’on subit
Et celles que l’on aurait choisies
Je voulais vous raconter l’histoire ordinaire
D’un père, d’un grand-père.