Je ne sais pas pourquoi, ce soir, j’ai eu licence
D’exhumer pour partage, mon âme en nostalgie,
Un temps escamoté par un tour de magie,
Mon passé, à l’âge de la désobéissance,
Des questions suspendues, des peurs, des réticences,
Comme une source perdue qui soudain ressurgit.
Je ne sais pas pourquoi, ce soir, j’ai eu licence.
Je ferme un peu les yeux pour mieux revoir les scènes.
Mon frère en passe de naître dans la chambre du fond.
Le carillon sonne tous les quarts d’heure. Ding! Dong!
Les enfants à l’écart de ce tableau obscène.
J’ai cru à une offrande d’un très lointain mécène.
Il est mort l’an dernier. Ainsi font, ainsi font...
Je ferme un peu les yeux pour mieux revoir les scènes.
J’ai à disposition tant et tant de séquences.
Une volée de moineaux, dans ma rue, ce matin,
Aux cris de « libérez l’soldat Henri Martin ».
Chaque époque a besoin d’actes de délinquance.
On ne s’oppose pas à l’ordre sans conséquence.
La police a tiré. Un enfant est atteint.
J’ai à disposition tant et tant de séquences.
Quelles images, du magma, vont chercher à partir ?
Pendu au mur de la boucherie chevaline,
Barré d’un crêpe noir, le portrait de Staline,
Un registre de deuil, un sourire à mentir.
La perte est estimable: quinze millions de martyrs.
Le quartier pleure avec la Russie orpheline.
Quelles images, du magma, vont chercher à partir ?
Les derniers souvenirs s’échappent de ma mémoire.
Mon oncle, revenu sauf, de la guerre d’Algérie.
On attend que De Gaulle stoppe la barbarie,
Les aveux extorqués, la gégène. L’assommoir!
Les ultimes soubresauts de sang et de tuerie,
L’histoire a usé de sa fameuse écumoire.
Le nez sur le présent, on est dans un fumoir.